Discours de la présidente Velshi à l'occasion de la 39e conférence annuelle de la Société Nucléaire Canadienne
Le 24 juin 2019
Ottawa, Ontario
- Le texte prononcé fait foi -
Le rôle que peut jouer l’agence de réglementation dans l'avancement de l'innovation nucléaire
Bonjour!
Je suis très heureuse d’être ici avec vous ce matin. Merci à la Société nucléaire canadienne de m’avoir invitée à prendre la parole pendant cette séance plénière.
Je suis convaincue que vous connaissez tous déjà la CCSN, donc je m’en tiens à dire que nous sommes l’organisme de réglementation nucléaire indépendant du Canada et que notre mandat est la sûreté. Aujourd’hui, nos plus de 900 employés partout au pays travaillent avec diligence pour s’assurer que les conditions et les décisions d’autorisation rendues par la Commission, composée de cinq commissaires, sont mises en œuvre et respectées en tout temps par les titulaires de permis.
Je vais vous parler aujourd’hui de mon opinion sur les changements technologiques et la transformation, ainsi que du rôle que peut jouer la CCSN en vue de faire progresser l’innovation nucléaire.
Mesdames et Messieurs, nous vivons à une époque remarquable où les changements technologiques se multiplient à un rythme effréné. Les entreprises traditionnelles sont déstabilisées, dépassées par de nouveaux rivaux.
Pensez simplement aux phrases que nous prononçons aujourd’hui et qui auraient été incompréhensibles il y a à peine dix ans, comme « Je vais prendre un Uber pour me rendre à mon Airbnb et regarder Netflix toute la soirée. » La manière dont nous écoutons de la musique a été réinventée. La façon dont nous prenons et préservons nos photos ne ressemble en rien à ce que nous faisions dans le passé. Clairement, la manière dont nous nous déplaçons, réservons nos voyages… tout est différent. Ne faisons pas l’erreur de croire que notre secteur échappe à ces influences. C’est faux.
Nous voyons des changements se produire tout autour de nous. La société choisit de plus en plus des solutions énergétiques propres. Le secteur nucléaire compose avec des innovations et de nouvelles infrastructures. Nous constatons déjà l’utilisation de nouvelles technologies et approches dans le secteur nucléaire. Pensons entre autres à l’impression 3D de pièces, aux inspections à l’aide de drones, et à l’utilisation de l’analytique prédictive pour l’entretien des composants. Un monde en évolution ouvre la voie à l’ingéniosité et à de meilleures façons de bâtir et de faire les choses.
Cela dit, quel est le rapport avec nous et notre rôle à titre d’organisme de réglementation? En tant que dirigeante de la CCSN, je comprends très bien notre vision : nous travaillons pour respecter nos obligations et atteindre notre objectif d’être un des meilleurs organismes de réglementation au monde – tant aujourd’hui que demain. Cela signifie que nous devons être prêts à intervenir, peu importe la situation.
La CCSN essaie d’être polyvalente et prête à intervenir dans la mesure du possible. Notre cadre de réglementation est neutre sur le plan technologique et axé sur le risque, ce qui encourage l’innovation et nous permet, en tant qu’organisme de réglementation, d’employer la meilleure approche selon les circonstances. D’autant plus, nous offrons un service d’examen de la conception du fournisseur qui permet d’identifier les obstacles fondamentaux à l’autorisation au Canada, et ce, bien avant le début du processus d’autorisation. Ce service permet aussi aux fournisseurs d’apporter les changements ou les améliorations nécessaires à leur conception. Le service très populaire – il est utilisé à l’heure actuelle par onze fournisseurs de petits réacteurs modulaires.
Notre approche axée sur le rendement permet aux titulaires de permis de réaliser des projets novateurs et des recherches dans le cadre de leurs permis actuels, mais ils doivent démontrer clairement la sûreté de leur conception – cette responsabilité leur reviendra toujours. Cependant, l’organisme de réglementation et le secteur nucléaire sont-ils réellement prêts à composer avec toutes les innovations pour lesquelles nous n’avons parfois aucun précédent ou aucune expertise? En tant qu’organisme de réglementation, nous savons que le développement de technologies novatrices ne se fait pas en un jour. Nous devons donc faciliter les recherches nécessaires à ce développement. Nous ne voulons pas faire obstacle à l’innovation.
Cela dit, je tiens cependant à le dire très clairement : la sûreté est encore et toujours primordiale pour nous. Aucune de nos responsabilités n’est plus importante, surtout en cette ère de changement. Que devrions-nous donc faire en tant qu’organisme de réglementation pour nous adapter à cette période de changement intense, assumer notre responsabilité de protéger les personnes contre le risque, mais favoriser le progrès? Je vais vous parler de cinq thèmes sur lesquels nous nous penchons à la CCSN.
Premièrement, l’organisme de réglementation doit être aussi transparent et ouvert que possible. En cette ère de changement rapide, il est plus important que jamais de diffuser le plus d’information possible – et que cette information soit aussi claire que possible. Les gens veulent savoir ce qui se passe dans le secteur, et ils veulent être sûrs que des travailleurs dévoués et talentueux veillent à la sécurité du public.
La CCSN organise des audiences et des réunions ouvertes au public. Celles-ci sont diffusées sur Internet. De même, un plus grand nombre de documents et de rapports sont maintenant affichés en ligne pour consultation. Des interventions judicieuses du public nous ont grandement aidés à prendre de meilleures décisions de planification de la gestion des urgences hors site et de développement d’évaluations du risque pour l’ensemble d’un site, entre autres. Mais nous devons en faire encore plus pour renforcer la confiance des gens envers nous, en tant qu’organisme de réglementation. C’est pourquoi nous tentons d’encourager une participation pleine et entière au processus de réglementation. Nous travaillons aussi à rendre nos données scientifiques plus accessibles afin de favoriser le dialogue.
Deuxièmement, nous consacrons plus de temps à examiner comment les autres secteurs et organismes de réglementation s’adaptent en cette ère d’innovation. J’ai en tête des secteurs comme celui des banques, où les organismes de réglementation du Canada et de plusieurs autres pays ont réussi à être assez polyvalents pour permettre au secteur de profiter pleinement des moyens de communication et de la technologie modernes, tout en continuant à protéger le consommateur contre les risques inacceptables. Je parle aussi d’un secteur comme celui de l’aviation, où nous avons été témoins d’un drame affreux impliquant l’avion Boeing 737 MAX.
Deux de ces avions se sont écrasés, tuant 346 personnes.
La flotte entière est maintenant clouée au sol. Les enquêtes se poursuivent, mais aucune conclusion n’a encore été mise de l’avant. Certaines autorités ont suggéré qu’il pourrait y avoir un lien entre le système novateur automatisé intégré à une technologie datant d’une décennie, et son utilisation par les pilotes. Il y a aussi plusieurs histoires selon lesquelles Boeing, le titulaire de permis, aurait peut-être joué un rôle trop important dans le processus d’homologation, étant donné que la Federal Aviation Administration des États-Unis, l’organisme de réglementation, n’avait pas la capacité d’évaluer la technologie. J’ai demandé à mon personnel de surveiller ce dossier afin de voir quelles leçons pertinentes il pourrait retenir pour notre secteur et la réglementation. Nous tentons de tirer des leçons des pratiques exemplaires et de les appliquer, mais nous devons aussi analyser les cas où des progrès technologiques auraient – directement ou indirectement – compromis la sûreté.
Troisièmement, nous devons avoir le personnel et l’expertise nécessaires pour valider le travail novateur qui nous est soumis, ou bien nous devons miser sur une expertise que nous ne possédons pas nous-mêmes. À la CCSN, nous prenons déjà des mesures pour nous doter de cette expertise maintenant ou à l’avenir. Nous avons embauché plus de 70 nouveaux diplômés au cours des dernières années afin de nous préparer à une contraction prévue de l’effectif attribuable aux retraites et de transférer les connaissances organisationnelles essentielles.
Cela signifie aussi nous doter d’un effectif diversifié en faisant la promotion des carrières en STIM auprès des femmes et des filles.
Lorsque nous donnons du pouvoir aux femmes, tout le monde en profite. Voici ce qu’il faut retenir : Si nous voulons tirer pleinement parti des avantages de l’innovation, nous devons attirer les meilleurs et les plus brillants dans notre secteur. Les meilleurs hommes et les meilleures femmes. Des gens remarquables avec de bonnes idées. Si nous excluons ou ne tenons pas compte d’une partie de la population, nous n’atteignons pas notre plein potentiel.
Ce qui m’amène à vous parler d’un quatrième point : pour nous acquitter de nos responsabilités, il nous faut collaborer plus étroitement et plus souvent. Et nous devons nous y attacher en poursuivant un objectif clair. Je crois qu’il est évident que la collaboration est cruciale, tant à l’échelle nationale qu’internationale, ainsi qu’entre les fournisseurs, les exploitants, les organismes de réglementation et les gouvernements. Les petits réacteurs modulaires (PRM) sont peut-être le meilleur exemple de cette approche. Ils permettent de transformer des technologies qui existent depuis plusieurs décennies. En général, les sondages d’opinion montrent que la population canadienne appuie ces nouveaux réacteurs, ou du moins y est ouverte. Les gens apprécient le fait que la technologie nucléaire procure une énergie fiable et à faible taux d’émission.
Mais les PRM seront les premiers réacteurs du genre, et le public s’attendra à juste titre à ce que leur sûreté soit démontrée. Mais si le secteur – ou nous-mêmes en tant qu’organisme de réglementation – commettons la moindre erreur, l’appui du public risque de disparaître.
Cette situation fait ressortir toute l’importance pour les demandeurs de permis de faire absolument tout le travail nécessaire afin de pouvoir démontrer que les applications ou approches technologiques novatrices proposées ne compromettront pas la sûreté.
Cela démontre aussi l’importance de la collaboration continue entre la CCSN et d’autres organismes de réglementation. D’ailleurs, la collaboration est le cinquième point que je désire aborder. Il y a un moment et un endroit appropriés pour la souveraineté de notre réglementation. C’est important, parce qu’en fin de compte, nous devons rendre des comptes aux gens que nous desservons. Je crois qu’il est tout à fait logique que nous mettions en commun nos analyses, nos essais, nos modèles et nos recherches dans la mesure du possible.
Prenons le scénario où une conception est proposée en vue d’être autorisée dans l’un de nos pays. Elle passe par le processus d’autorisation, est approuvée ou rejetée, puis elle est proposée dans l’autre pays. Est-il logique, dans l’intérêt de la sûreté nucléaire, de la cohérence ou de l’efficacité, de ne pas partager l’information et les analyses préparées par le premier pays au cours du processus initial d’examen de l’autorisation?
Aucun organisme de réglementation national n’est tenu de suivre la décision d’un autre pays. Mais une collaboration plus étroite pourrait permettre de gagner du temps, de réduire le dédoublement des efforts et de parvenir à de meilleures décisions plus rapidement et plus judicieusement. Cela pourrait aussi favoriser des relations professionnelles plus étroites entre les membres de notre personnel respectif. Cela nous aiderait également à appuyer les pays qui s’engagent dans le nucléaire pour qu’ils fassent les choses de manière responsable et efficace.
En fait, il y a à peine deux semaines, à Montréal, la présidente Svinicki de la Nuclear Regulatory Commission des États-Unis et moi-même avons annoncé que nous examinons des occasions de renforcer la collaboration entre nos organismes respectifs concernant l’examen réglementaire des conceptions de réacteurs avancés et de PRM. Compte tenu de l’intérêt croissant envers les PRM et les progrès dans ce domaine partout dans le monde, la présidente Svinicki et moi-même reconnaissons le besoin et les occasions de jouer un rôle de leadership pour veiller à ce que le développement et le déploiement de ces technologies novatrices se fassent de manière sûre et efficace.
Nous tenons déjà régulièrement des discussions avec nos collègues de la Nuclear Regulatory Commission des États-Unis sur l’état de nos examens de la conception de fournisseurs de PRM, mais nous comptons miser encore plus sur les bases de connaissances qui se bâtissent dans chaque pays. Nous pouvons, par exemple, participer à des inspections à des installations de fabrication dans l’autre pays et nous inviter à participer aux programmes de formation et aux ateliers. Nous envisageons aussi d’échanger nos évaluations et nos examens de recherches. J’ai très hâte de tirer profit de ces échanges.
Comme prochaine étape, la CCSN rencontrera la Nuclear Regulatory Commission des États-Unis afin d’établir un cadre pour la réalisation de ces activités. Nous continuons aussi à examiner des possibilités de collaboration plus étroite avec d’autres organismes de réglementation. Nous avons déjà bâti une relation solide avec l’organisme de réglementation du Royaume-Uni, avec qui nous avons lancé des initiatives d’échange d’information, et nous cherchons toujours à approfondir cette relation. Compte tenu de l’intérêt envers les PRM, nous croyons qu’il est logique d’officialiser les occasions de collaboration chaque fois que nous le pouvons.
Pour résumer, l’innovation touche les industries mondiales, et le nucléaire ne fait pas exception. Souvent, l’innovation soulève des questions et des préoccupations auxquelles nous ne pouvons pas répondre, ou auxquelles nous n’avions pas pensé. Mais ces bémols ne devraient jamais laisser place à un excès de confiance ou à la prise inappropriée de risques.
Pensez au Titanic et aux innovations à la sûreté de sa conception, lesquelles ont tellement enhardi les concepteurs qu’ils n’ont pas cru nécessaire d’ajouter suffisamment d’embarcations de sauvetage, et ont poussé le capitaine à s’aventurer en territoire qu’il aurait mieux fait d’éviter. Innover et réglementer l’innovation signifient, par-dessus tout, qu’il ne faut jamais essayer d’induire quelqu’un en erreur à l’égard d’un enjeu qui pourrait avoir des conséquences sur la sûreté ni minimiser l’importance de cet enjeu, même s’il peut nous paraître anodin.
Selon moi, le secteur nucléaire du Canada est aussi sécuritaire que tout autre secteur du pays, et nous vous obligeons à respecter les normes de sûreté les plus élevées, même si elles ne sont pas toujours suffisantes aux yeux de certains Canadiens. Pour terminer, l’avenir est intéressant et prometteur pour le secteur nucléaire, et je vous encourage à continuer à être audacieux et à innover.
Votre défi est de pouvoir nous démontrer votre dossier de sûreté et votre capacité à bien gérer toute demande de technologie ou d’approche novatrice. En tant qu’organisme de réglementation, la CCSN doit pouvoir répondre aux attentes du public ainsi que de l’ensemble du secteur nucléaire. Le public s’attend à ce que la CCSN soit un organisme de réglementation indépendant, compétent et fiable qui est capable d’interagir avec les gens de manière ouverte et transparente.
Le secteur nucléaire s’attend à ce que la CCSN fournisse une certitude relativement à ses processus, communique clairement ses attentes et réglemente avec efficacité afin de ne pas entraver l’innovation. Nous appuyons l’innovation dans le domaine et prenons les moyens nécessaires pour être prêts à réglementer les nouvelles technologies ou approches que vous proposerez.
Je travaille dans ce secteur depuis plus de trois décennies. Je suis fière de son passé et de nos nombreuses réalisations ensemble. Mais je suis encore plus enthousiaste quant à l’avenir, aux possibilités qui nous attendent et au potentiel qu’il nous reste à réaliser.
Nous devons toujours penser à la sûreté au fur et à mesure que nous avançons stratégiquement vers un avenir prometteur.
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